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D'où vient la colère

Voici un petit livre, comme un guide, qui nous accompagne pour découvrir ce qui se joue dans les coulisses d'un spectacle nomme Colère. Marshall B. Rosenberg, nous partage avec authenticité son expérience d'intervenant dans les prisons et milieux scolaires, il donne des pistes, des outils et une méthode pour apprendre à apprivoiser cette émotion, qui a du mal à être acceptée dans notre société.


C’est un petit livre de poche d’environ 80 pages, donc rapide à lire, mais oh combien remuant et indispensable à notre exploration intérieure.


D’où vient la colère ?

Le premier point que je souhaite vous partager, et qui a comme ouvert les fenêtres de ma conscience et en même temps les rideaux de mon cœur est le suivant : l’origine de la colère n’est pas l’événement qui l’a déclenché, mais une cause beaucoup plus profonde, plus humaine et plus puissante. La première fois que j’ai découvert cette dichotomie entre le déclencheur et la cause originelle de la colère, c’est lorsque je dévorais avec mes yeux et mon cœur les bandes dessinées d’Artmella. Dans le tome 1 de Emotions : enquête et mode d’emploi, Rator sent la colère exploser en lui, lorsqu’il voit les chaussettes de son colocataire traîner un peu partout, alors que Porco, ça le fait rire de voir les chaussettes de Renardo se balader. Donc les chaussettes sont un déclencheur mais non l’origine de la colère, puisque Porco, ne se met pas en colère en les voyant.

Nous pouvons trouver la cause originelle de la colère, en nous demandant, quel est le besoin qui n’est pas satisfait actuellement en nous. Attention le besoin, n’est pas forcément quelque chose qui nous manque, qui est absent de nous : c’est un état intérieur qui est enfoui sous la tonne de poussière de pensées biscornues, de jugements, d’interprétations, … Ces tonnes de poussière, qu’elles se soient accumulées de par nos pensées ou celles des autres, de par les expériences ou les traumas, qu’elles soient dirigées contre nous ou contre les autres, elles nous empêchent de percevoir et de ressentir l’étincelant joyau d’humanité et d’amour présent en chacun.e de nous.


Les 4 champs des possibles selon la CNV :

En Communication Non Violente, on note 4 possibilités quand une émotion éclabousse dans notre conscience :

1. Nous savons qu’un besoin n’est pas satisfait, et nous le satisfaisons. C’est ok d’avoir des émotions, je les accueille, j’en prends soin et je les libère avec amour.

2. Nous nous disons que c’est à cause de l’autre que nous ressentons ce que nous ressentons, alors nous rendons l’autre coupable. Nous sommes donc dans une posture offensive ou défensive, et nous nous coupons de l’autre et en même temps de nous-même. Attention au risque du rôle de victime que nous pouvons nous attribuer, et au risque de voir les événements à travers notre mental, qui scinde toujours la situation en deux camps, et qui aime voir la vie en noir et blanc.

3. Nous nous disons que nous sommes fautif.ves et que tout cela est de notre faute. Dans ce cas-là, que j’ai connu personnellement pendant longtemps, nous nous coupons de cette part que certains appellent l’enfant intérieur, ou encore juste une part qui a besoin de notre compassion et de notre attention bienveillante. Attention au risque du rôle de coupable que nous pouvons nous attribuer à nous-mêmes. Or il n’est pas question d’être coupable ou pas, soyons vraiment vigilants dans l’usage des mots, qui peuvent très facilement se transformer en maux. Il est question de responsabilité. Je suis responsable et créateur.trice de ma vie, et j’ai le droit de faire des expériences, certaines aboutissent facilement et d’autres demandent plus de répétitions.

4. Nous apprenons à écouter les maux de l’autre, les maux de son cœur blessé, ceux qui se cachent derrière les mots parfois violents qui sortent de sa bouche, comme un volcan en ébullition. Nous apprenons à l’écouter au-delà des mots qui pourraient blesser notre cœur. Il est important dans cette option, de cultiver un feu intérieur ou un foyer du cœur, qui sait que l’amour nous protège suffisamment pour entendre avec calme et douceur, les mots d’un amour blessé, que l’autre a besoin de laisser s’évacuer, de partager et de libérer. Selon moi, cette quatrième attitude est l’une des plus challengeantes, car elle nous demande d’avoir suffisamment confiance en la vie, en soi et en l’autre, pour savoir que derrière une attitude qui pourrait à premier abord nous faire peur, ou réveiller un sentiment de rejet, il y a un amour blessé qui ne sait pas comment s’exprimer.


Apprendre à apprivoiser la colère :

Quand nous apprenons à dompter ou à apprivoiser la colère, nous comprenons, comme une évidence, que la colère à l’état brut, nous coupe de cette part d’humanité, du vivant présent en chacun.e de nous. Quand nous ne prenons pas le temps de ce quart de seconde magique, dont nous parlent la mindfulness, la méditation de pleine conscience ou encore les neurosciences, pour vraiment voir ce qui se joue dans les coulisses, et bien nous nous faisons avoir, nous ne voyons pas l’envers du décor. Quand nous apprenons que chaque colère est un cadeau qui nous offre l’opportunité de retrouver une part de nous, perdue sous la tonne de poussière, alors nous commençons déjà à poser un nouveau regard sur la colère.


Pour commencer ce chemin passionnant, il est essentiel, de ne pas laisser le mental par son côté binaire et primitif – j’ai raison, il a tort – Elle est ceci – Je suis cela -…. diriger la danse de notre vie. Il n’est surtout pas question non plus de réprimer la colère, c’est l’une des souffrances les plus grandes que nous pouvons nous affliger à nous-même. C’est ce que j’ai longtemps fait étant enfant et même adulte, et la médecine traditionnelle chinoise confirme qu’une colère rentrée est une vraie bombe que l’on dépose dans le corps humain et dont les répercussions peuvent être très graves. Il est question de ressentir l’énergie de la colère et de marquer un temps de pause, de respirer avec ce qui est là, en se répétant : c’est ok, je suis humain, j’ai le droit de ressentir ce que je ressens. Oui, j’ai un besoin, là tout de suite maintenant, qui n’est pas respecté, et je suis capable de répondre à ce besoin ici et maintenant. Je peux aussi faire appel à tous les outils ou méthodes de libération émotionnelle, à condition qu’ils soient dans le respect de soi et des autres. L’un des défis de la colère, est de prendre de la hauteur avec le mental, qui essaye à chaque fois de nous amener dans un camp, celui du gagnant ou du perdant.


Le passage du taxi :

Le passage avec le taxi m’a aussi beaucoup touchée. Marshall se sent blessé par les propos d’un homme présent avec lui dans le taxi. Seulement au début il ne partage pas ses sentiments, il l’écoute avec patience, empathie et bienveillance, en lui demandant seulement : « Que ressentez-vous ? De quoi avez-vous besoin ? » et en faisant appel à la reformulation comme en écoute active, sans jugement, sans interprétation et sans conseil. Puis lorsqu’il a senti que cet homme se sentait être entendu, compris et accueilli dans ses propos, Marshall finit par exprimer ses sentiments et ses besoins. Et il lui a demandé de reformuler son partage de ressentis. Et devinez quoi ? Il n’a pas du tout entendu et compris ce que Marshall lui a dit, il a répondu : « Vous pensez, que je ne devrais pas tenir ce genre de propos. » Or Marshall a seulement dit : « J’ai souffert quand j’ai entendu vos propos, j’étais triste. » Il n’y avait donc aucun reproche, or ce monsieur a déchiffré au début ce partage de ressentis de Marshall comme un reproche. Il n’est pas demandé à ce monsieur et aux personnes auxquelles nous parlons, qu’il ou qu’elles changent leur point de vue, simplement qu’il.elles entendent ce qui se passe en nous, lorsque nous partageons notre ressenti.


Mon passage préféré :

Enfin un dernier passage, et je crois que c’est mon préféré, Marshall nous confie avec honnêteté et transparence totale ce qui se passe en lui quand une femme lui adresse de nombreux jugements le dévalorisant. Il décrit sans vergogne et sans scrupule toutes les paroles ou violences verbales contre cette femme, qui l’ont traversé, et qu’il n’a pas dites, mais qu’il a vu défiler en lui. Il décrit minutieusement le pas-sage de ces violences intérieures jusqu’à la relation apaisée et apaisante qu’il construit avec cette femme remplie de colère et d’amertume. Un voyage intérieur et extérieur que je trouve sensationnel et impressionnant. Il s’agit par ailleurs de Marshall B. Rosenberg, donc d’une personne qui expérimente et s’entraîne tous les jours. Tout cela pour vous dire que nous sommes humains, que nous pouvons voir, ressentir, toucher, goûter, entendre, sentir de la violence en nous, c’est ok, c’est notre part sauvage et humaine, les traces d’un passé peut-être qui nous permet aussi parfois de nous protéger, ou de poser des limites.


Seulement c’est là, et à ce moment précis, de nous rappeler aussi ce qui fait de nous des humains conscients hautement développés, capables de naviguer entre différents états et niveaux de conscience, c’est à ce moment-là précis de nous rappeler notre volition première, celle de construire un monde nouveau et inspirant pour les enfants de demain, un monde respectueux du vivant, un monde en couleurs, un monde qui fait place autant au sensible qu’au rationnel, un monde qui voit la diversité et la différence comme une richesse plutôt qu’un danger, un monde où chaque être humain sache voyager à l’intérieur de soi pour y découvrir les trésors qui y sont cachés, et les partager à l’Humanité.


Banu Gokoglan

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